En juillet 2022, constatant que les honoraires des agents immobiliers français sont en moyenne plus élevés que ceux de leurs homologues européens, Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, a saisi l’Autorité de la concurrence d’une demande d’avis concernant la situation concurrentielle du marché français de l’entremise immobilière. Près d’un an plus tard, cette instance indépendante, dont la mission est de veiller au bon fonctionnement concurrentiel des marchés, vient de rendre son avis. L’Autorité de la concurrence recommande au gouvernement d’envisager une réforme de la loi Hoguet visant, d’une part, à renforcer encore la protection économique des consommateurs et, d’autre part, à assouplir les conditions d’exercice de l’activité d’entremise immobilière au point de l’exclure de la loi Hoguet. Cela ne pouvait que faire réagir les professionnels du secteur.
La gestion immobilière regroupe un ensemble de concepts juridiques et financiers appliqués aux immeubles (au sens juridique du terme). La gestion immobilière se rapproche de la gestion d’entreprise dans la mesure où les investissements réalisés vont générer des revenus, différents lois et règlements issus de domaines variés du droit venant s’appliquer selon les opérations envisagées.
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Le constat de l’Autorité de la concurrence
L’Autorité de la concurrence considère que le dispositif issu de la loi Hoguet pourrait être assoupli et clarifié, à la lumière notamment de plusieurs séries d’évolutions.
Elle mentionne les évolutions suivantes avec les conséquences qu’elle en tire :
l’essor du numérique et de l’open data a contribué à réduire l’asymétrie d’information entre le professionnel de l’entremise et son client ;
les évolutions du droit de la consommation ont renforcé la protection économique des consommateurs au point que le dispositif spécial mis en place par la loi Hoguet ne se justifie plus totalement ;
l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché, réseaux de mandataires ou plateformes de diffusion en ligne d’annonces immobilières, sans détenir de carte professionnelle d'agent immobilier ;
l’arrivée d’acteurs encore plus récents sur le marché, en particulier les coachs immobiliers et les acheteurs instantanés ou ibuyers, démontre que les dispositions de la loi Hoguet tendent à être contournées afin de permettre la création de services innovants ;
l’externalisation de certaines prestations par les professionnels de l’entremise immobilière, en particulier la visite du bien, laisse à penser que des sous-traitants pourraient proposer directement ces services aux particuliers.
L’analyse de l’Autorité de la concurrence
L’Autorité de la concurrence s’interroge sur l’adéquation du cadre légal et réglementaire actuel. D’une part, le fait que tous les professionnels de l’entremise immobilière ne soient pas soumis aux mêmes règles est susceptible d’entraîner des distorsions de concurrence injustifiées et, d’autre part, selon elle, certaines défaillances de marché actuelles sont, au moins partiellement, dues à la rigidité de la loi Hoguet qui contraint les acteurs, sans garantir la qualité ni la sécurité de leurs prestations.
Concernant les professionnels qui ne sont pas assujettis aux mêmes règles, l’avis de l’Autorité cite, par exemple, les plateformes d’annonces immobilières en ligne qui ne sont pas soumises à la loi Hoguet. Notamment, elles n’ont pas à respecter les règles d’affichage de l’arrêté du 10 janvier 2017, si bien que certaines annonces qui y sont publiées ne sont pas conformes aux prescriptions réglementaires alors que les consommateurs commencent majoritairement leurs recherches sur ces sites. Or, selon le rapport, ces nouveaux acteurs sont arrivés sur le marché « sans que le nombre de litiges ou de contentieux ait particulièrement augmenté ou sans que ceux-ci aient plus spécifiquement concerné ces nouveaux entrants ».
Concernant les rigidités de la loi Hoguet, le rapport vise en particulier le principe de la rémunération au résultat comme l’un des facteurs pouvant expliquer le niveau élevé des taux de commission en France. L'avis allègue que pour parer aux mandats n’aboutissant pas à une vente, le professionnel va internaliser le risque de ne pas percevoir d’honoraires. Afin de dégager une marge, il applique des tarifs prenant en compte ce facteur, ce qui entraîne mécaniquement un surenchérissement des taux de commission selon l'Autorité de la concurrence. Elle ajoute que, si le mandat est simple, le professionnel a plus de risques de ne pas être rémunéré, alors que s’il est exclusif, il augmente ses chances de percevoir des honoraires. Mais en France, les trois-quarts des mandats sont simples et les professionnels de l’entremise immobilière ne proposent pas, dans leur grande majorité, de tarifs différenciés en fonction du type de mandat, alors qu’ils devraient être moindres lorsque le mandat est exclusif.
Or, le niveau des taux des commissions des agents immobiliers en France serait de 5,78% TTC (ou 4,08 % HT environ) contre 3,3% HT, selon le rapport, pour l’ensemble des pays de l’Union. Il estime que si les taux de commission en France étaient ramenés à la moyenne de l’UE, un gain annuel de 2,9 milliards d’euros serait dégagé au bénéfice des ménages à nombre de transactions inchangé.
L’Autorité de la concurrence en déduit qu’il serait intéressant de déréguler l’activité d’entremise immobilière. Elle constate que, prenant en compte les mêmes évolutions que celles ayant lieu en France, certains États membres de l’Union européenne l’ont déjà fait. Tel est le cas, notamment, de l’Espagne et des Pays-Bas, où l'exercice des activités de transaction immobilière est devenu libre au début des années 2000. L’avis précise que dans ces pays, où toute personne peut se prévaloir du titre d'agent immobilier, cela a fait augmenter la concurrence entre professionnels et permis de faire diminuer les honoraires, qui prennent désormais des formes diverses (taux proportionnels au prix de vente, forfaits, taux horaires, etc.) et sont libres. En général, une partie du paiement a souvent lieu à mi-parcours de la vente.
Les recommandations de l’Autorité de la concurrence
Pour réduire le coût des prestations de l’entremise immobilière et en améliorer la qualité, l’Autorité de la concurrence propose deux options, selon ses termes, « d’assouplissement » de la loi Hoguet, mais qui sont en réalité des réformes qui bouleverseraient le secteur de l’intermédiation. La première option vise à alléger les conditions dans lesquelles les professionnels de l’entremise immobilière proposent leurs services. La seconde option s’attache principalement à clarifier le périmètre de la loi Hoguet et à simplifier les conditions d’accès à la profession.
Quelle que soit l’option retenue, elle propose également un certain nombre de recommandations générales, en vue d’améliorer l’information des consommateurs sur les prix et les conditions de vente des biens immobiliers.
Ces recommandations sont les suivantes :
Recommandations générales
instaurer une obligation de dresser dans le mandat une liste exhaustive des prestations rendues par le professionnel ;
uniformiser les règles relatives à l’affichage des annonces, que le montant des honoraires incombe à l’acheteur ou au vendeur ;
soumettre les plateformes de diffusion en ligne des annonces immobilières aux obligations d’affichage prévues par l’arrêté du 10 janvier 2017 ;
imposer l’élaboration d’une fiche récapitulative du dossier de diagnostic technique du bien à vendre ;
mettre à la disposition du public à titre gratuit (en open data) les données détenues par les notaires concernant le marché immobilier ;
autoriser les notaires à afficher les annonces immobilières.
Recommandations en option n° 1
exclure du champ d’application de la loi Hoguet l’activité d’entremise immobilière pour l’achat, la vente et la recherche de biens immobiliers ;
prévoir une obligation de disposer d’une garantie financière en cas de maniement de fonds.
Recommandations en option n° 2
inscrire dans la loi une définition de l’entremise immobilière ;
exclure du champ d’application de la loi Hoguet toutes les prestations qui ne constituent pas à proprement parler de l’entremise immobilière ;
rendre applicable le principe de la rémunération au résultat à toutes les professions réalisant de l’entremise immobilière ;
assouplir et clarifier les règles d’aptitude professionnelle fixées aux articles 11, 12 et 14 du décret de 1972.
Ces recommandations sont traduites en propositions de modifications législatives et réglementaires figurant en annexe de l’avis du 2 juin. Celui-ci conclut que l’option n° 1, consistant à renforcer la protection économique des consommateurs tout en assouplissant les conditions dans lesquelles les professionnels proposent leurs services, paraît devoir être privilégiée : elle contribuerait à soutenir le pouvoir d’achat et l’accès au logement.
La réaction des professionnels
Ces recommandations ne pouvaient que faire réagir les agents immobiliers. Les trois principales organisations représentatives des professionnels de l’entremise immobilière ont ainsi publié un communiqué de presse commun le 7 juin, pour demander à être reçues dès que possible par le ministre de l’économie et des finances. L’Autorité de la concurrence propose en effet une refonte intégrale du modèle économique de la transaction, alors que celui-ci a toujours reposé sur une prestation globale, et de fait, sur une rémunération globale, uniquement au résultat.
Les syndicats professionnels s’interrogent sur l’analyse de l’Autorité de la concurrence car les obligations et contraintes pèsent de plus en plus sur les professionnels de l'immobilier afin justement de garantir un encadrement et une sécurisation du parcours immobilier des Français : « À vouloir déréglementer les professionnels de l’immobilier, quelles garanties laisserons-nous au consommateur ? ».
Dans leur communiqué commun, la FNAIM, le SNPI et l’UNIS déclarent que « le découpage de la prestation, recommandé par l’Autorité de la concurrence, entraînerait un bouleversement majeur sur le marché, au détriment du consommateur, sans vérifier l’opportunité de sécuriser une prestation globale. Imagine-t-on un acteur faire l’évaluation, un deuxième commercialiser, un troisième faire visiter, un quatrième vérifier les servitudes, un cinquième vérifier l’état technique du logement, un sixième rédiger le compromis de vente, etc. ?! Pense-t-on sérieusement que le consommateur sera plus sécurisé et qu’il gagnera en pouvoir d’achat ? Qui portera la responsabilité ? ».
Le communiqué de presse des représentants de la profession insiste sur le rôle de sécurisation de la loi Hoguet pour les consommateurs et sur le montant des honoraires : « l’Autorité de la concurrence semble totalement oublier que la loi Hoguet, qui réglemente les professionnels de l’immobilier, est une loi de police, de sécurité des consommateurs. Découper la transaction ne baissera pas le prix du logement ».
Affaire à suivre…